Beckett a produit des foirades, des
mirlitonnades, des pochades, des dramaticules, autant de genres
hybrides, de textes pour rien et de « beckettises »
qui montrent qu’il joue des médiums, et efface les
frontières entre les genres : son écriture est à
la fois chorégraphie, film, dévidage d’un
texte, fabrique d’une image, théâtre de la
parole, et son discours superpose la philosophie, la physique,
la géométrie, la biologie, la poésie, le
métalangage.
En ce sens, Beckett se situe au cœur des réflexions
modernes sur les médiums en redéfinissant à
tout moment le sien : texte et image ne sont jamais chez lui ce
qu’ils auraient pu être. Sa prose comme ses expériences
« médiatiques » (on pensera à Quad et
autres pièces pour la télévision) proposent
une communication ad libitum et dans tous les sens, à l’endroit
comme à l’envers, un enchaînement infini d’images
qui n’épuiseront jamais le visible mais l’approfondiront
toujours en même temps qu’un retrait de ces mêmes
images vers l’infini du zéro, vers l’état
de la première image par laquelle tout a commencé.
« Loin en arrière de l’œil la quête
s’engage » (Mal vu mal dit, p. 70). Si la longue-vue
de Clov est braquée sur le zéro, en revanche la
cécité ouvre à l’infini. Le monde s’informe
dans le crâne, réserve de visibilité, zone
d’organisation du visuel. Dans Le Dépeupleur, Beckett
résume une poétique : « Le fond du cylindre
comporte trois zones distinctes aux frontières précises
mentales ou imaginaires puisque invisibles à l’œil
de chair. ». Le texte beckettien révèle ainsi
une cénesthésie mentale où l’infinité
de points de vue et d’objets, l’espace caractérisé
par les vastitudes de distance, un centre partout, une circonférence
nulle part développent un univers virtuel.
La boîte crânienne de Beckett met à plat le
mécanisme mental, la machine imaginaire, l’usinage
linguistique, les conditions mêmes de la représentation,
le réglage de l’appareil avant toute projection ;
c’est un for extérieur, la clôture au bord
de l’ouverture.
Beckett borderless : in the deep outside of the skull
Beckett created foirades, mirlitonnades, pochades, dramaticules,
that is to say hybrids works, texts for nothing, jokes that reveal
how he plays with mediums and rubs out borders between genres.
His text, in a same time, looks like a film, a choreography, the
unwinding of a writing, the making of an image, a scene of voices.
His discourse crosses philosophy, geometry, physics, biology,
poetry and next to them all, metalanguage.
In this way, Beckett takes a main part of contemporary thoughts
upon mediums when he such gives at any moment a new definition
of his own medium : texts and images never seem what they could
have been. Beckett’s prose as well as experiences he had
on television propose an endless communication, reversible in
all senses, both the flood of images that never achieves the visible
field but on the contrary digs deeply in it, and the withdrawal
of those images towards zero, in direction of the first image
from which everything starts.
« Loin en arrière de l’œil la quête
s’engage » (Mal vu mal dit, p. 70). Whereas Clov trains
his telescope on zero, blindness means infinity. The world takes
its shape in the skull, which appears a reserve of visibility.
In Le Dépeupleur, Beckett synthesizes his poetics : «
Le fond du cylindre comporte trois zones distinctes aux frontières
précises mentales ou imaginaires puisque invisibles à
l’œil de chair. » This is to characterize his
text as a mental coenaesthesia - drawing a virtual universe -
including unlimited points of view and objects, an extremely wide
space, a center everywhere with a nowhere circumference.
Beckett’s skull exhibits the mental mechanism, the machinery
of the imagination, the work of language, in one word, the conditions
of the representation, the adjustment of the apparatus before
any projection of the inside.
It is a deep outside, the edge between close and open.
(University Toulouse-Le Mirail, Department of french literature) |